Considérations générales sur la chirurgie et la médecine esthétique

Professeur Meningaud - Chirurgie Maxillo-Faciale à Paris Est Créteil

Au cours de mes enseignements en médecine ou en chirurgie esthétique, de nombreuses questions me sont posées au sujet de l’apparence. Elles sont toujours pertinentes. Voici celles qui me reviennent en mémoire.

Quels rapports entre demande de rajeunissement et d’embellissement ?

En chirurgie esthétique, on distingue schématiquement la chirurgie de la silhouette, la chirurgie de la face, la chirurgie d’embellissement et la chirurgie de rajeunissement. Cette distinction permet de mettre en évidence le but poursuivi, mais dans la pratique ces quatre catégories se recoupent. 

La chirurgie de la silhouette comprend pour une très grande part une chirurgie « en diminution » comme le traitement des séquelles d’amaigrissement, le traitement de la culotte de cheval, de la ptôse et de l’hypertrophie mammaire, des séquelles de grossesse. Il va falloir retirer des tissus en excès et aménager ceux restants pour recréer la forme désirée. Il s’agit le plus souvent de patientes en surpoids ou ayant été en surpoids. 

En règle générale, les sujets concernés sont plutôt de bons vivants. Le but recherché est l’embellissement directement ou à travers le vêtement, mais dans la pratique une silhouette mince apparaît toujours plus jeune. Il peut y avoir aussi des demandes « en augmentation » telles les prothèses mammaires ou plus rarement les prothèses de fesses ou de mollets. La chirurgie de la face pose des problèmes très différents, car elle concerne l’identité que la personne souhaite afficher. A l’évidence, les êtres humains se reconnaissent par le visage. Une personne demandeuse d’une chirurgie esthétique faciale poursuit le désir d’afficher une attractivité accrue ou un âge plus jeune. L’attractivité peut être augmentée par l’amélioration des proportions du visage. 

En pratique, le point clef de l’attractivité réside dans le tiers moyen de la face. Les interventions les plus classiques de la chirurgie esthétique faciale sont la rhinoplastie, la chirurgie des paupières ou blépharoplastie et le lifting. Mais il existe aussi des interventions plus sophistiquées concernant les pommettes, le menton, la forme des yeux, la forme des mâchoires et notamment des angles.

Les critères de beauté évoluent-ils avec le temps ?

Il semble évident que certains critères évoluent à travers les époques ou les cultures, comme la rondeur, le bronzage, le fait de ne pas représenter les dents dans la peinture classique. Le peintre flamand Rubens (1577-1640), dans son œuvre, Les trois Grâces, qui reprend un thème mythologique où les filles de Jupiter symbolisent différents aspects de la beauté, présente des femmes plutôt replètes alors que la mode actuelle fait l’apologie de la minceur.

Y a-t-il des critères qui n’évoluent pas ?

Il existe des critères généraux de la beauté qui ne semblent pas avoir changé depuis l’Antiquité. Aristote (385-323 av. J.-C.) évoquait déjà la symétrie, la précision et l’harmonie dans les proportions (dans différents passages de la Métaphysique, mais aussi de la Poétique). De nombreuses études de psychologie expérimentale ont confirmé la pertinence de ces critères1. Ainsi, si l’on présente à un échantillon de 100 personnes choisies au hasard, deux photos l’une avec un visage grossièrement symétrique et l’autre avec le même visage ostensiblement asymétrique, l’immense majorité considérera comme plus beau le visage symétrique.

Peut-on chiffrer la beauté ?

Il y a eu dans l’histoire des tentations, historiquement avec le nombre d’or(2) et plus récemment avec les études dites céphalométriques(3). En fait, ces critères lorsqu’ils sont appliqués de façon systématique aboutissent à des aberrations (voir plus bas). Aristote dans sa grande sagesse n’envisageait pas la question des proportions en termes rigides, mais simplement comme le fait que le beau ne pouvait se situer aux extrêmes.

Qu’est-ce que le nombre d’or ?

Vers la fin du XVe siècle, Lucas Pacioli, un moine mathématicien italien, soutient la thèse d’une proportion idéale fondée sur un nombre très particulier auquel on donnera plus tard le nom de nombre d’or ou de section dorée. En fait, ce nombre était connu depuis l’Antiquité, mais uniquement pour certaines de ses propriétés mathématiques (décrites par Euclide). Il a été soutenu que des artistes tel Léonard de Vinci avaient fondé leurs canons de beauté sur le nombre d’or. Pourtant contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, le célèbre Homme de Vitruve s’inspire des proportions explicitées par Vitruve lui-même, l’architecte romain qui vécut au 1er siècle av. J.-C., mais ne fait pas intervenir le nombre d’or. Vitruve décrit les proportions idéales d’un temple qui devaient se rapprocher des proportions humaines(4). Vinci fait le chemin en sens inverse pour dessiner un homme. La confusion sur le nombre d’or vient du fait que Vinci et Pacioli étaient amis et que Vinci avait illustré un livre de Pacioli intitulé De la divine proportion. En fait, pour ses œuvres, Vinci se fiait bien plus à ses propres observations anatomiques qu’à un système mathématique.

Les statistiques permettent-elles de définir des proportions idéales ?

Le beau se situerait dans une zone plus ou moins large autour de mensurations moyennes. C’est dans le domaine de l’étude de la face que cette méthode biométrique, la céphalométrie, a trouvé son plus grand domaine d’application. Elle nécessite la réalisation d’une radiographie particulière que l’on appelle la téléradiographie. Des points anatomiques précis sont repérés grâce auxquels des angles sont mesurés. Bien que sous-tendue par une très grande rigueur scientifique, l’analyse céphalométrique souffre de quelques limites. La plus importante est liée à l’étalonnage. Chaque type d’analyse calcule ses moyennes sur une population de référence qui au fil du temps peut devenir contestable. Par exemple, celle de Tweed se fonde sur une population de jeunes américains des années 50, très majoritairement blancs. Les résultats sont-ils extrapolables à l’étude du visage d’une patiente Africaine quinquagénaire d’aujourd’hui(5). ?

Le beau peut-il être parfait ?

L’expérience sensible nous montre pourtant que les critères académiques ne suffisent pas à définir le beau. Ainsi, un visage strictement symétrique ne nous apparaît pas beau. La photo numérique offre la possibilité de recomposer des visages entièrement gauches ou droits en inversant et en recollant la moitié de l’image. Des études de psychologie expérimentale ont établi de façon significative que l’œil humain préférait les visages ayant un côté gauche et un côté droit, c’est-à-dire légèrement asymétriques(6). Comparaison n’est pas raison, mais les tours de la cathédrale Notre Dame de Paris ne sont pas symétriques, or cette cathédrale apparaît, malgré son incendie récent, comme l’une des plus belle du monde. La symétrie parfaite est inconsciemment ressentie comme artificielle, étrange, non humaine et en définitive n’est pas perçue comme belle.

Quel est le meilleur critère de beauté ?

Charles Auguste Baud, un chirurgien suisse, dans son ouvrage Harmonie du visage publié en 1967, décrivait la fonction comme un critère intrinsèque de la beauté. Un visage beau implique un engrènement correct des dents, une bonne respiration, des paupières qui fonctionnent correctement, des muscles du sourire non paralysés, etc. Il est certain qu’un groupe de personnes présentant un prognathisme important au point de ne pas avoir de contact entre ses incisives apparaîtra statistiquement moins beau qu’un groupe présentant des contacts fonctionnels entre les arcades dentaires. 

Or, l’absence de contacts entre les arcades, diminue singulièrement les stimulations au niveau de l’os qui soutient les racines dentaires et se traduit sur du long terme par des déchaussements. De même, on imagine facilement qu’un trouble respiratoire lié à une déviation de la cloison nasale puisse se traduire par une déformation du nez. En fait, la conséquence esthétique la plus fréquente de ce type de trouble respiratoire est la présence précoce de poches sous les yeux. Ces patients nous consultent le plus souvent pour une blépharoplastie (chirurgie des paupières). L’examen clinique de cette demande doit éliminer un problème respiratoire. 

Une rétromandibulie (mandibule en arrière), peut favoriser des ronflements ou pire un syndrome d’apnées obstructives du sommeil. Ce syndrome se traduit par un taux d’infarctus du myocarde significativement plus important et par une somnolence diurne à l’origine de certains accidents de la route. Or, sur le plan esthétique, ce qui apparaîtra au premier plan sera un angle cervico-facial ouvert avec une impression de relâchement à un âge plus précoce. Beaucoup de ces patients ne consultent pas pour ce motif fonctionnel dont ils n’ont pas même conscience, mais pour un lifting du cou ! Les exemples pourraient être multipliés à l’infini, mais pour résumer la fonction et l’esthétique sont beaucoup plus liées qu’on ne le croit. La fonction ne crée pas uniquement l’organe, elle favorise l’impression esthétique. Le critère fonctionnel est par définition un avantage dans une approche évolutionniste. Les critères fonctionnels sont perçus comme des avantages, et donc privilégiés sur le plan de la reproduction quelle que soit l’espèce, ils sont alors assimilés à des critères esthétiques. Quoi qu’il en soit, dans ma pratique chirurgicale, la fonction est mon critère de prédilection.

A gauche, patient présentant une importante rétromandibulie avec une apparence d’angle cervico-facial ouvert, donc plus âgé et surtout une prédisposition au syndrome d’apnées du sommeil, et donc un risque plus élevé de maladies cardio-vasculaires. A droite, le même patient après chirurgie avec un angle cervico-facial plus fermé, plus jeune et un risque médical diminué (cas du Pr Jean-Paul Meningaud).

Exemple de patiente ayant des poches palpébrales à un âge précoce, inférieur à 30 ans, ce qui n’est pas normal et traduit un problème respiratoire (cas du Pr Jean-Paul Meningaud).

Qu’est-ce que le charme ?

Au cours de ce chapitre nous avons envisagé des critères plus ou moins précis, tous statiques hormis quelques critères fonctionnels, mais jamais sous l’angle de l’émotion. Or, un visage souriant et amoureux vaut bien des liftings. A contrario, un visage coléreux n’apparaîtra jamais beau. Un visage tendu ou triste pourra apparaître beau, mais lassera rapidement. Lorsque nous nous détaillons dans le miroir, nous le faisons sur un visage immobile. Or dans la vie sociale, nous n’analysons jamais les autres de profil strict et immobile, mais plutôt de trois quarts et en situation émotionnelle. Un chirurgien ne pourra jamais opérer vos émotions.

Références

1. Grammer K et al. Human (Homo sapiens) facial attractiveness and sexual selection: the role of symmetry and averageness. J Comp Psychol. 1994;108(3):233-242.

2. Prokopakis EP, Vlastos IM, Picavet VA, et al. The golden ratio in facial symmetry. Rhinology. 2013;51(1):18-21.

3. Ghorbanyjavadpour F, Rakhshan V. Factors associated with the beauty of soft-tissue profile. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2019;155(6):832-843. 

4. Vitruve, De architectura, livre 3, chap. 1.

5. Ouédraogo Y et al. Cephalometric norms of a Burkina Faso population. Int Orthod. 2019;17(1):136-142. 

6. David I. Perrett et al. Symmetry and Human Facial Attractiveness. Evolution and Human Behavior 20:295-307 (1999).